Sur Itélé et à l’antenne d’Europe 1 dimanche matin, Manuel Valls a expliqué qu’il s’agissait, face au terrorisme, de défendre « nos valeurs, notre société, nos civilisations ». Dans le Journal du Dimanche, le Premier ministre a précisé que ces valeurs étaient universelles. » Est-ce réellement le cas ? Il y aurait urgence à redescendre de la planète mars ! Après la défaite du nazisme et l’effondrement du communisme au XXème siècle, un nouveau totalitarisme est né au début du XXIème. Il est redoutable, il se présente désormais comme une Internationale de la terreur surpuissante, il menace nos démocraties européennes chétives et mollassonnes et il porte un nom : il s’appelle l’islamo-fascisme. C’est le fait même qu’il faille aujourd’hui le rappeler en France — le berceau des Lumières —, comme si la chose n’allait plus de soi, qui devrait nous inquiéter au plus haut point. Le Premier ministre a parfaitement raison d’affirmer qu’il nous faut défendre « nos valeurs » — à commencer par les plus élémentaires, la liberté, la démocratie, le respect de la vie humaine — étant donné que des barbares djihadiste ont déclaré une guerre ouverte, explicite et sanglante à ce minimum civilisationnel commun. Les islamistes proclament haut et fort la haine absolue qu’ils portent au meilleur de notre civilisation et ils joignent la parole aux actes. Attentats à Madrid et à Londres au tournant des années 2000, crimes abjects de Merah en 2012, démantèlement de cellules salafistes en France, tuerie de Nemmouche à Bruxelles en mai 2014, pancartes « Mort aux Juifs ! » tout l’été dans les rues des capitales européennes, décapitations en série de Daesh à l’automne, massacres de janvier 2015, attentats en Isère et en Tunisie ce vendredi 26 juin : mais enfin, que nous faut-il de plus pour nous réveiller et nous rendre à l’évidence ? Faut-il que nous ayons vraiment perdu la boussole pour qu’il soit nécessaire de réaffirmer que les revendications portées par l’islam intégriste ne sont tout simplement pas compatibles avec les principes pour lesquelles, depuis la Révolution de 1789, des générations entières se sont battues sur les barricades. Or, nous sommes comptables de ces sacrifiés et de ces suppliciés à qui nous devons ce mélange unique de liberté, de culture universaliste, d’humanisme juridique, de bien-être, de prospérité et d’égalité des chances qui caractérisent l’Europe. Manuel Valls est donc venu nous rappeler que la défense de cet héritage n’est pas négociable. Non seulement elle nous incombe au regard des générations futures, mais elle constitue assurément le plus efficace rempart contre la barbarie. C’est tout de même archi simple : il se trouve que certaines valeurs universelles — la responsabilité, la liberté, la vérité, la laïcité, la justice — nous obligent absolument et, dans cette mesure, nous transcendent. Que sans ces valeurs, aujourd’hui vacillantes, une société ne tient plus ensemble et le commun s’effondre. Des valeurs accessibles à tous, qui ne sont pas facultatives car elles seules fondent une société où l’homme peut accomplir son humanité dans ses possibilités les plus hautes. En ce sens, elles ne viennent pas de nous. Elles s’imposent à nous et nous préexistent, même si nous avons, chacun, à en personnaliser l’usage. C’est de ces valeurs, dont nous sommes tous les gardiens, que dépend l’avenir de notre civilisation. Et celui de nos enfants. Voir de la civilisation tout court. Je trouve cette déclaration extrêmement confuse. Cela appelle à mon avis à des clarifications qui seraient fort utiles de la part de Manuel Valls. Que des valeurs universelles soient, cela souffre, de mon point de vue, aucun doute possible, si l’on entend par valeurs universelles, en autres le respect de la liberté et de la dignité humaines que les violences extrémistes, quelle qu’en soit la nature, méprisent et bafouent. La question cependant qui se pose avec acuité, à propos des extraits que vous citez, est double : de quelles « valeurs » et de quelles « civilisations » le Premier ministre parle-t-il et se réclame-t-il au juste, et plus encore, à quelles autres civilisations les premières seraient-elles censées s’opposer ? Quel sens donne-t-il au juste à civilisation mis d’ailleurs au pluriel ? N’oublions pas que ce mot est lesté d’une connotation particulièrement négative, ne serait-ce que dans l’espace social français, dans la mesure où Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007-2012), avait lui-même déclaré, suscitant d’ailleurs à l’époque une vague d’indignations à gauche, que « toutes les civilisations ne se valent pas ». Ce que ne dit pas explicitement la déclaration de M. Valls à l’antenne d’Europe 1, mais que l’on perçoit nettement eu égard à l’échange dans son ensemble, est que l’islam traverse en lui-même et pour lui-même une crise de civilisation qui l’opposerait ainsi aux autres civilisations. Dans ce cas, dans quelle civilisation mettrait-il les musulmans français ? Les valeurs humanistes françaises ou européennes peuvent-elles s’adapter à tous les pays, toutes les régions du monde ? Vous me demandez en somme si les valeurs sur lesquelles repose la civilisation issue des Lumières sont universelles ? La réponse est oui, évidemment, c’est même qui ce qui les caractérise : elles sont ouvertes à qui veut bien y adhérer sur l’ensemble de la planète. Que l’on en soit aujourd’hui à se poser la question me paraît, à vrai dire, tristement symptomatique du fait que la théologie multiculturaliste et les tenants de la relativité des valeurs semblent en passe de l’emporter. Cette pente est funeste et plus suicidaire que jamais. Elle procède en réalité du gaucho-tiermondisme des années 60, tout à fait hors de saison. Une vulgate, très présente dans les médias, pour qui les droits de l’homme perpétueraient, entre autres abominations, la domination de la femme. Par contre, on ne dira rien sur le voile. Une vulgate pour qui il serait plus convenable de parler de « droits humains » pour faire comprendre aux ultimes récalcitrants, encore attachés à un universalisme passé de mode, que les droits de l’homme ne sont jamais qu’une invention occidentale, donc particulière et intrinsèquement impérialiste. Ce discours, selon lequel l’Europe serait coupable et colonialiste par essence, est calamiteux. La grandeur de la culture européenne tient au contraire à ce qu’elle a érigé en vertu cardinale l’esprit critique et le droit d’être différent de sa propre différence, cet esprit lui ayant notamment permis, au XXème siècle, de surmonter la catastrophe totalitaire.