Quelles péripéties

Cela a commencé avec la publication d’une enquête du très sérieux Institut français d’opinion publique (IFOP), diligentée par deux organismes plutôt à gauche : la fondation Jean Jaurès et Conspiracy Watch, grand contempteur des thèses complotistes. Les résultats étaient si consternants que d’aucuns en contestaient d’emblée la crédibilité, comportement commode qu’on attribue généralement (et indûment) à l’autruche. Que nous apprenait donc cette enquête de si incongru? Que 29% des sondés pensaient que le gouvernement des Etats-Unis n’était pas étranger aux attentats de 2001 contre le World Trade Center ; que 16% étaient convaincus que les Américains n’étaient jamais allés sur la Lune ; que 48% soupçonnaient nos « élites » de préparer, grâce à l’immigration, un changement de civilisation ; que 55% subodoraient une complicité entre les pouvoirs publics et l’industrie pharmaceutique pour cacher aux citoyens la nocivité réelle des vaccins ; que 32% croyaient dur comme fer que le virus du sida avait été créé pour décimer la population africaine. Plus effarant encore, 9% des participants ne repoussaient pas l’idée (chère à certains imams wahhabites) que la Terre pouvait être plate et 18% (même 31% si on se limitait aux 18-24 ans) restaient persuadés que Dieu avait créé la Terre et les hommes il y a moins de 10.000 ans… L’un dans l’autre, on arrivait à un pourcentage significatif d’individus que certains n’auraient pas hésité à qualifier d’abrutis! Or, en prenant les choses autrement, on concluait également que dans une démocratie représentative fondée sur le suffrage universel, ces personnes adultes étaient également des électeurs. Faut-il alors s’alarmer en constatant qu’aux dernières élections en France, le taux d’abstention a été de 26% au second tour des présidentielle et 57% aux législatives qui ont suivi? Si cette indifférence a été le fait majoritairement des citoyens qui ont manifesté dans le sondage de l’IFOP de si étranges opinions, on ne peut que s’en féliciter. Peut-être également explique-t-on ainsi en partie le score d’extrémismes proposant d’improbables programmes. Les scrutins de 2017 auraient en fait révélé une sorte de retour au suffrage partiel, non plus comme jadis fondé sur la fortune, mais cette fois sur la niveau de compréhension et de lucidité et la capacité d’être réfractaire aux bobards. L’inquiétant, c’est plutôt que la fourchette est étroite entre les deux catégories et qu’il ne faut pas grand-chose pour que l’équilibre bascule, comme on vient de le voir aux Etats-Unis avec l’élection de Trump. Les républicains du XIX° siècle pensaient que la démocratie passait par l’essor de l’instruction publique. Visiblement, quelque chose n’a pas marché… Là-dessus, une autre bombe a explosé. L’affaire Weinstein aux Etats-Unis a soudain libéré la protestation féminine contre le harcèlement sexuel. Excellente démarche, salutaire à plus d’un titre quand elle démontre le rôle de l’abus de pouvoir l’usage de la violence, le mépris et l’incivilité. Mais toute médaille ayant son revers, celle-ci, une fois encore, a pris la forme de la radicalisation. Tandis qu’étaient mises à jour de réelles affaires, un déferlement inattendu de généralisations simplistes et d’amalgames douteux s’est aussitôt engouffré dans la brèche. On a vu des musées sommés de retirer de leurs murs des œuvres d’art, des artistes ou des réalisateurs de cinéma frappés d’ostracisme. L’acteur Matt Damon a été couvert d’insultes pour avoir risqué qu’il existait peut-être une certaine différence entre un geste déplacé et le viol d’une petite fille (« Non! C’est pareil!« ). Le comble a été atteint (l’événement a fait le tour du monde) quand un metteur en scène italien s’est permis de modifier la fin de l’opéra « Carmen » de Georges Bizet pour qu’une femme, Carmen, ne soit pas victime de la violence de l’homme, Don José!.